dimanche 19 février 2012

Sociologie des partis politiques

L’étude du fonctionnement des partis politiques en Algérie est une thématique nécessaire, parce qu’elle permet de mesurer le degré de leur impact et de leur capacité à mettre en place un système démocratique.


De ce point de vue, la mission des partis politiques était d’éduquer et de former une population afin de se prendre en charge, grâce à une conscience politique collective, pour non seulement abolir l’autoritarisme politique, mais aussi toutes les formes de l’archaïsme et de l’extrémisme.Cette mission exige la préparation et l’élaboration d’un plan de travail pour réussir une mutation profonde et globale dans la société. Cette opération illustre clairement qu’un parti politique ne peut être une propriété privée ou un instrument qui peut être utilisé à des fins personnelles ou d’un groupe restreint. Au contraire, il est un moyen mis à la disposition de la société afin de construire un discours sur elle-même.

En effet, le monde social produit des situations matérielles différentes et parfois injustes, le discours politique apparaît alors comme un lieu de combat entre les citoyens et l’Etat, entre les forces politiques, entre l’Etat et les forces politiques. C’est par son biais que les citoyens tentent de définir et redéfinir la situation sociale et politique. Le discours n’est donc pas un objet concret offert à l’intuition, mais le résultat d’une construction. Ce processus particulier considère le discours politique comme une arme civile et pacifique, il aboutira par la présentation des candidats potentiels aux élections, afin d’accéder au pouvoir pour couronner les objectifs des politiques générales arrêtées dans le débat public. C’est grâce à cette expérience que le «pouvoir» changera de forme et de contenu. Afin qu’il soit «légal», selon la conception wébérienne, l’homme politique doit se singulariser par la compétence comme qualité politique professionnelle.

En l’absence de cette qualité intrinsèque, toutes les formes de pouvoir qu’on peut imaginer peuvent apparaître pour exercer leur puissance et leur violence sur les populations. Le parti politique est donc un organe de la société, il intervient par ses propres cellules de travail qui doivent être implantées sur le territoire du pays. Elles écoutent la population et formulent «avec elle» des propositions possibles avant de les transmettre à la centrale du parti.

Fonctionnement des partis politiques en Algérie

L’Algérie a bien saisi l’événement d’octobre 1988 pour tenter de donner naissance à sa propre société. Paradoxalement, bien que le potentiel humain ait existé, les organismes politiques censés l’encadrer et l’accompagner n’ont développé aucune stratégie «managériale» pour réussir cette expérience. Effectivement, à  aucun moment, l’Algérien ordinaire n’a été pris en considération par ces partis politiques afin qu’il soit acteur pour participer dans le débat public et faire valoir son sens de la responsabilité pour promouvoir et préserver l’intérêt public.

Il est vrai que l’Algérie souffre d’un système autoritaire et archaïque mis en place par un coup de force à l’indépendance, mais il n’en demeure pas moins que les partis politiques, admis à être organes réels de la société, n’ont rien fait pour qu’elle puisse affaiblir ce système autocratique qui infecte son corps social depuis.
Dans ces conditions, les partis politiques ne se sont pas présentés comme antidote pour anéantir ce mal, par contre, ils l’on développé par leurs comportements et leurs discours «creux», non scrupuleux à la situation sociale et économique  déplorable de la population.

Aujourd’hui, les partis politiques réitèrent la même pratique. Aucun effort n’est approvisionné pour s’intégrer dans la vie quotidienne du peuple. Les partis politiques n’ont pas investi l’environnement local pour s’imprégner de la population afin de s’enraciner et de construire «avec elle» une force sociale et politique réelle.Ils négligent davantage le monde social des Algériens (nes) alors que c’est lui qui constitue l’objet fondamental pour construire leurs discours politiques.

A dire vrai, les couches sociales, tous corps confondus, n’ont pas arrêté de manifester dans les rues de toutes les villes algériennes leur exacerbation et leurs mécontentements du fonctionnement des politiques publiques, et aucun parti politique n’a pris la peine de s’impliquer, pour non seulement marquer sa présence et sa visibilité dans un espace public en formation, mais aussi pour construire un discours politique sur la base des revendications collectives des couches qui représentent le visage du pays.

Dans ces conditions, si le parti politique n’assiste pas les populations dans leur malaise social et ne construit pas son programme et son discours politique sur la base des problèmes socio-économiques et culturels de ces couches sociales, à quoi sert-il donc ?
Avons-nous défini le rôle et la fonction d’un parti politique ? Avons-nous réellement compris le travail d’un parti politique ? La négligence de ces questions qui paraissent simples et l’absence des réponses objectives ont vidé le projet démocratique de son sens. Notre «patrie» souffre des hommes incompétents qui n’ont pas appris ce qu’est «l’éthique» de la responsabilité. Au lieu de se pencher sur des vrais problèmes comme la nature et la situation du travail, le problème du chômage, l’école et l’éducation, l’université, la santé, l’entreprise et la corruption qui gangrène dans les hautes sphères de l’Etat… et réfléchir à l’aide des études de recherches et des expertises pour proposer des solutions possibles et objectives, ces hommes nous ont entraînés, par ignorance ou par calculs, dans des débats confus et sans issues, dont aucune nation n’a réussi à trouver les moyens pour formuler de vraies réponses.

En effet, depuis 1990, le contenu du programme des partis politiques bascule en réalité entre deux questions principales qui compliquent davantage notre vie sociale, que ce soit au niveau des membres de la famille ou bien au niveau des Algériens (es) entre eux. Ces deux principales questions tournent autour des islamistes et des démocrates. L’islamisme construit l’identité religieuse qui s’oppose incontestablement à l’identité politique, par contre, la démocratie, comme processus historique, n’a pas trouvé encore les structures sociales nécessaires pour naître en Algérie. A propos de l’islamisme, il est à se demander, écrit L. Addi : «s’il est d’abord un mouvement religieux avec un objectif politique ou un mouvement politique utilisant la religion à des fins de mobilisation… L’Islam est un langage et une ressource politique utilisés par les uns et les autres pour légitimer ou contester un ordre politique, mais l’erreur à éviter est de le prendre pour un acteur politique institutionnel avec sa cohérence et sa rationalité…. L’Islam n’est donc pas un acteur politique rationnel  et cohérant, mais il est une pratique discursive que des protagonistes de camps opposés utilisent pour défendre des positions politiques renvoyant à leurs intérêts respectifs.»(1)

Par ailleurs, force est de constater que ces deux questions ont poussé les Algériens à s’entretuer plus qu’à s’entraider, à se diviser plus qu’à s’unir, à se haïr plus qu’à se respecter et à s’aimer. Bien qu’ils vivent dans un même pays et endurent les mêmes problèmes, l’imbrication de ces questions entre eux a produit une dualité négative qui les a redéfinis en «eux» et en «nous». Cette classification bipolaire cache en réalité la signification du «croyant» et «mécréant», insignifiante à leurs  problèmes socioéconomiques et politiques.La cohésion nationale ne se décide pas par des grands discours mais par «l’agir humain partagé», explique l’anthropologue Dounia Bouzar.  

Les responsables des partis politiques, toutes tendances confondues, font-ils le bilan de ce passé douloureux. Retiennent-ils des leçons ? Réalisent-ils leur responsabilité envers ce pays qui se dégrade continuellement ? Veulent-ils réellement récupérer l’Algérie pour qu’elle puisse accueillir tous les Algériens (es) ? Ne sont-ils pas déjà contaminés par l’envie de remplacer les anciens bourreaux afin de maintenir le statu quo ?  

En vérité, le bilan de ces partis politique est négatif parce que leur présence a divisé les Algériens(nes) et a fragilisé davantage la formation de la société. Au lieu d’investir le budget que le trésor public verse dans les comptes de ces organismes pour les activités comme la formation des cadres militants, l’éducation politique et les autres charges que certaines études exigent pour l’élaboration d’un discours, apte à faire la distinction sociale entre les populations et d’expliquer les réalités sociales différentes et complexes, les hommes puissants de ces parties ne cessent de répéter les mêmes paroles, à savoir que la solution des problèmes des Algériens(es) est dans l’Islam, contre les autres qui disent que la solution est dans la démocratie.
En face des actes comme l’immolation des jeunes et le phénomène des harraga, quelle solution immédiate apportent les paroles sur l’Islam ou bien celles de la démocratie ?

Il est temps de dire que la «politique» est une science comme la médecine et les mathématiques, elle nécessite des compétences et des études appliquées pour soulever les maladies qui affectent et affaiblissent le corps social à cause des problèmes éducationnels, moraux et matériaux que partagent pratiquement la plupart des Algériens.
Etant donné que ce travail n’a aucune place et aucun sens en Algérie, que fait l’homme politique alors ? Active-t-il pour rendre l’Algérie aux Algériens(nes) ?

Que font les hommes de la politique pour l’Algérie pour que, eux, soient à l’abri de la misère sociale grâce aux ressources naturelles alors que d’autres Algériens(es) comme eux, aussi, ne soient pas protégés de cette situation ? Quel travail et quel effort fournissent ces hommes politiques pour recevoir des rémunérations colossales ? Quelle différence y a-t-il entre ces hommes politiques et les Algériens qui ne travaillent pas ? Quelle morale religieuse ou humaine accepte ce fait ?
Ces hommes politiques sont-ils réellement convaincus d’une cause porteuse d’idéologie ? Sont-ils capables d’apporter des réponses techniques par rapport aux besoins des populations ?

Ce qui est certain, c’est que la plupart qui se prétendent être des activistes dans des parties politiques ne connaissent pas si leurs partis ont réellement un fil conducteur qui fixe une idéologie particulière. Certains d’entre eux souffrent d’un déficit intellectuel et ne savent pas la définition exacte de ce que c’est le socialisme, le capitalisme, le libéralisme ou le communisme. Ce déficit de formation idéologique explique le comportement de certains qui migrent d’un parti à un autre en fonction de leurs propres intérêts.
Pour finir, je dois dire que la grande crainte viendra avec les nouvelles stratégies des partis politiques qui vont bousculer les anciens, et nous en sommes loin pour savoir à quelle vitesse ils peuvent aller pour diviser ce qui est déjà divisé ?


Notes :
1) Lahouari Addi, Pluralisme politique et Islam dans le monde arabe, in Pouvoirs, 2003, n° 104.

Larbi Mehdi (Enseignant à l’université d’Oran)

 

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